Artiste peintre

S'ouvrir au monde!

Robert Bernier, Parcours L'informateur des Arts,Automne 2003

Isolement... Quel drôle de mot! Dans notre société moderne, par exemple, ce mot n'a pas du tout la même connotation qu'autrefois. Avant, une situation personnelle qui était qualifiée de la sorte signifiait la mort... Puis, l'humanité a évolué et, avec les années 1980, l'isolement est devenu une manière de vivre. Nous sommes à la fois à proximité les uns des autres, peut-être plus que jamais auparavant, et pourtant nos sociétés occidentales souffrent de solitude chronique, et dégénérative de l'âme... Mais ça, c'est une autre histoire... Vous remarquez, isolement et solitude sont souvent synonymes; ils sont aussi les parents des mêmes angoisses, du même mal intérieur qui ronge tant de gens dans nos grandes villes, comme le chante si bien Alain Souchon. Mais être seul n'est-il vraiment que synonyme d'angoisse et de solitude? Pas toujours.

L'isolement, c'est aussi le lot quotidien de la plupart des peintres. Peindre est un exercice solitaire, et pour cause... Il n'y a ici aucune équipe technique, pas beaucoup de fraternité non plus entre les artistes. Pas comme avant en tout cas. Pourtant, cet isolement est souvent nécessaire; il faut arriver à se trouver..

Je connais Claude Saint-Jacques depuis plusieurs années. Son expression a depuis ses débuts connu de multiples transformations, et pourtant le fil est toujours resté le même; une peinture intimiste, beaucoup plus autobiographique que ce qu'elle laisse présumer, sensible et particulièrement tactile. Il y a quelques jours, je voyais pour la première fois depuis des années ses oeuvres récentes. Une fois de plus la chenille se transforme... Mais la source demeure la même, elle! C'est la femme, dans tout ce que cela suppose, et souvent cette singularité m'a confronté à cette question: existe-t-il un art féminin? Une expression qui n'appartient qu'à la femme et qui se distingue de toutes les autres? Certainement. Pas tant dans la forme esthétique que dans la manière de présenter, de représenter les choses de la vie, il y a là, à coup sûr, une singularité. Ce n'est pas forcément mieux si c'est une femme, c'est différent. Et c'est tant mieux!

Jusqu'à récemment, les tableaux de Claude Saint-Jacques représentaient - mais pas exclusivement - un corps de femme souvent placé dans le centre du tableau et occupant tout l'espace. Autour, des motifs, des textures s'agitant dans un clair-obscur intimiste. En somme, Claude Saint-Jacques peignait des états, ses états d'âme, ses états du coeur, du corps, en fait ses humeurs. Ses oeuvres récentes ouvrent le cadre et grouillent de personnages et d'objets. Bref, elles sont habitées par une foule de détails nouveaux. Les tonalités sombres ont cédé la place à des teintes plus claires; le rendu est plus brut, moins tactile, mais le trait y a gagné de l'assurance, le dessin est plus ferme. De toute évidence, l'artiste a le goût, voire le besoin, de raconter. De raconter des histoires. Son histoire? S'ouvrir au monde?

C'est ainsi que sont apparues dans sa production des séquences, c'est-à-dire un même état élaboré sur une période, symbolisant ou représentant l'espace-temps. Cela donne des oeuvres particulièrement inspirées sur lesquelles l'artiste greffe d'autres histoires qui le plus souvent se greffent encore sur d'autres. Comme une suite plus ou moins longue où les fils s'entrecroisent. La disposition et l'accrochage des oeuvres prennent ici un tout nouveau sens lié à la démarche de l'artiste. L'oeuvre n'est plus isolée, elle se nourrit des autres. Elle s'ouvre, et de ce fait se transforme en de multiples hypothèses. Sans vouloir imposer une forme de hiérarchie à son oeuvre, il y a fort à parier que les changements récents annoncent une assurance nouvelle chez l'artiste, une assurance qui ne peut que présager de grandes et belles choses. Ce n'est pas une cassure, mais un nouvel état. D'ailleurs, si vous voulez vous en convaincre et voir une exposition exceptionnelle, la Galerie Estampe Plus, à Québec, présente cet automne une exposition de ses tableaux récents. Ne la manquez pas! 


© Claude St-Jacques 2023