Artiste peintre
Claude Saint-Jacques, la grande spirale
Robert Bernier,Parcours, été 2008
La peinture est loin d'être un long fleuve tranquille et cela même après des siècles de pratique planétaire. Les matériaux évoluent, les supports et les outils aussi et surtout, la vie change et se transforme, apportant avec elle de nouvelles manières de la sentir, de la voir et de l'exprimer. Les techniques évoluent dans le même sens, sans oublier qu'elles ont aussi été constamment en question et pas seulement au vingtième siècle. Malgré tout, la pratique picturale commande toujours certaine maitrise technique, matériaux et des outils qui ne sont toutefois pas forcement les mêmes à travers le temps et la région sur la terre. L'aspect le plus difficile, parce qu'impalpable, demeure pour l'artiste de savoir prendre sa distance. Prendre sa distance de la technique, de son sujet et de la peinture elle-même. Distance... Mais de quelle distance s'agit-il ? Celle de l'artiste !
Claude St-Jacques, dont l'oeuvre est présente en galerie depuis plus de 25 ans déjà, a comme tous les artistes connu plusieurs périodes depuis ses débuts. Ces périodes dans la vie d'un artiste sont en fait des étapes, des points de transformation. Le regard change, l'approche, les préoccupations aussi. La rupture est toutefois rarement totale. II subsiste le plus souvent quelque chose.
La première période de Claude St-Jacques qui s'est imposée en galerie exprimait un propos intime et très personnel sur sa vie de mine. Son questionnement, ses peines, ses joies, ses remises en question s'inscrivaient sur la toile avec beaucoup de sensibilité et de tension dramatique - vous savez, ce qui vient modeler l'équilibre et mordre la matière. Sa palette sombre jumelée a une application très sensuelle faisait plonger son langage dans un monde introspectif pas toujours facile à vivre pour la créatrice. Descendre constamment dans ses émotions ne demande pas que du courage, mais aussi une grande force intérieure et une sagesse, car il faut savoir jusqu'où aller dans les profondeurs de l'âme, sinon il risque d'arriver ce qui arrive au plongeur trop téméraire... II y a des moments dans la vie où l'on est fort, presque invincible et d'autres moments où l'on est fragile. À un moment, Claude voulut remonter à la surface, alléger son approche et son implication émotive. Mettre l'accent sur le motif plutôt que sur elle-même. Sortez-moi de moi !
Alors une peinture plus narrative s'est imposée, dans laquelle les personnages se sont multipliés, la tension dramatique désormais gardée à distance, n'effleurant que certaines parties de la toile, allégeant ainsi l'atmosphère et le discours. Un propos qui exprimait des histoires, des mises en situation temporelles souvent évocatrices d'une autre époque. Curieusement, le personnage qui était auparavant l'élément qui faisait plonger le tableau dans une quête introspective était devenu celui qui évacuait la tension. Il désamorçait l'émotion. Pendant ce temps, dans les arrière-plans de plusieurs toiles, naissait une pléiade de motifs surprenants, de véritables petites perles qui avaient toutefois beaucoup de peine à s'imposer dans ce contexte.
Claude St-Jacques, continuant son parcours pictural, lui a récemment fait franchir une nouvelle étape. Le personnage qui a habité sa peinture depuis toujours tend maintenant à disparaître ou du moins à se faire plus discret. Sa peinture a retrouvé de la densité, l'émotion n'est plus refoulée. Elle est maintenant mieux contrôlée, présente certes, mais elle partage désormais l'espace avec une dimension formelle renouvelée. Sans être franchement décorative, elle s'étale sur la toile avec une richesse de motifs des plus délicats, doux autant que significatifs. Sans aucun doute, Claude St-Jacques a réussi à faire un grand tour sur elle-même. La peinture de cette nouvelle période est sereine tout en traduisant une tension dramatique mieux assumée. L'artiste amène maintenant son sujet avec sa propre maîtrise. Claude St-Jacques a enfin trouvé sa distance et sa pratique picturale se trouve sur une voie d'accomplissement sans précédent.
© Claude St-Jacques 2023